jeudi 13 janvier 2011

Mondialisation, économie « virtuelle » : la fin de la liaison forte entre capital et travail

Naguère, capital et travail étaient étroitement associés, dans l'espace et dans le temps. Un investissement en capital entraînait à un endroit donné une production, donc des emplois, supplémentaires, y compris sous la forme d'une création d'entreprise ou d'établissement avec les embauches nécessaires.
Il faut remarquer que ces accroissements des deux facteurs de production étaient concomitants et situés dans les mêmes lieux. En revanche, la dépense en capital sous forme d'achat d'une partie d'une entreprise ne comportait pas ipso facto une incidence sur l'emploi, mais cette forme d'investissement en capital était relativement peu fréquente par rapport aux créations et aux accroissements de capacité des entreprises.
A une époque récente en effet, des réglementations protégeant les économies nationales étaient habituelles, avec aussi bien des contrôles des changes afin de stabiliser (ou contrôler) des monnaies que des freins aux investissements et prises de participations d'un pays à un autre pour préserver le caractère national des industries et des services.
D'autre part, des limitations physiques, de moins en moins contraignantes, il est vrai, rendaient les transferts massifs de capitaux peu aisés et surtout la surveillance de leur utilisation dans la production difficile et coûteuse.
Dans les dernières décennies, ces différentes restrictions sont tombées les une après les autres.
Le développement des techniques de communication, avec des systèmes informatiques puissants et rapides, a rendu les transferts de capitaux instantanés et gratuits, de même que la communication entre les directions d'entreprises et les unités de production: les conditions physiques étaient réunies pour abolir distances et coûts dans l'affectation géographique des capitaux.
La mondialisation financière a supprimé toutes les barrières réglementaires au nom d'un libre-échange postulé être la condition sine qua non du progrès économique et social, entraînant la possibilité sans aucune entrave de transférer massivement des capitaux d'un pays à un autre, que ce soit pour acheter, vendre, investir dans des capacités de production ou racheter des entreprises locales.
A noter aussi que le ralentissement de la croissance dans les grands pays industrialisés traditionnels, allié à des crises financières récurrentes, a conduit à une inflation quasi nulle et a provoqué des baisses des taux d'intérêt jusqu'à des niveaux si faibles que l'emprunt pour investir – directement ou par des participations dans des entreprises – est devenu presque gratuit et si bon marché que toute spéculation (au sens favorable ou non) prend facilement appui sur un endettement aisé et se gonfle d'autant.

En Europe sont intervenus l'élargissement à des pays moins avancés, puis l'instauration à marche forcée de l'euro, largement improvisée puisque, fait invraisemblable, sans aucune harmonisation des fiscalités ni des politiques économiques. Ces évolutions ont permis là aussi aux capitaux de se placer en jouant sans contrainte aucune, ni réglementaire ni souvent de risque de change, sur les différences de conditions salariales au profit de certains pays et au détriment d'autres.

Liberté totale des opérations en capital, possibilité de s'affranchir des contraintes physiques, tout a joué en faveur de ce qu'on appelle la financiarisation de l'économie, qui est, à l'inverse de l'esprit d'entreprise et de production prévalant auparavant, l'orientation croissante des capitaux vers ce qui s'apparente plus à des placements à un terme relativement court qu'à des investissements productifs proprement dits. La recherche du profit se sépare ainsi largement de la production physique de biens ou de services pour se consacrer à des opérations purement financières. Le meilleur exemple en est l'explosion des capitaux investis sans aucune productivité dans des valeurs mobilières ou d'autres outils de spéculation en circuit fermé comme l'ensemble des produits dérivés qui, en marge de l'économie, constituent un chapelet de gigantesques bulles gonflées de vide finissant par imploser – comme il est inévitable dans un système spéculatif.

Les opérations financières dans le sens spéculatif pur ne comportent aucune production de bien ou service qui produit ensuite des effets dans l'économie comme un investissement industriel ou financier "classique".
C'est donc largement un secteur en circuit fermé, ce qui explique qu'il se crée des bulles par effet d'entraînement (la hausse appelle la hausse et la baisse la baisse), ce qui n'arrive pas dans le reste de l'économie. Et il n'y a pas les mécanismes de régulation qui jouent dans d'autres domaines, puisque, si des capitaux y "entrent" au détriment du reste de l'économie, rien n'en "sort" sauf des profits ou des pertes. Et l'importance croissante de ce secteur est par là même dommageable pour l'économie puisqu'il conduit, faute de régulation naturelle ou par la réglementation, à des crises majeures qui se répercutent lourdement sur l'ensemble de l'économie car les frontières entre activités financières et autres ont été malheureusement abolies.
Quand il y a un excès ou un manque de consommation, la production s'ajuste; même chose pour l'investissement ou l'épargne, les balances commerciales ou des paiements. Mais si un marché financier commet des excès, aucun feed-back extérieur ou presque ne vient modérer la tendance. Tout finit par un krach plus ou moins violent.


Le phénomène est également visible dans les nouvelles formes de gestion de nombreuses entreprises, qui s'attachent plus à une profitabilité à court terme, par des opérations financières et des mesures de compression des coûts de fonctionnement sévères pour l'emploi et la masse salariale, qu'à une croissance de l'activité par l'accroissement des capacités de production et la recherche de produits ou de marchés nouveaux.
Mais le travail, en tant que facteur de production, est resté d'une faible mobilité, qui est celle conditionnée par la vie des êtres humains, avec leurs familles, leurs besoins de stabilité sociale, de sécurité et leurs cultures.
Ajoutée aux immenses disparités de niveau de vie dans le monde, elle a conduit à un fossé grandissant avec la circulation généralisée et instantanée du capital. Ainsi les capitaux affluent-ils, sans plus de contraintes, vers les pays à niveau de vie faible donc main-d'œuvre à bon marché, au détriment de l'emploi dans les pays d'origine des entrepreneurs, qui souffrent d'un chômage croissant malgré une poursuite d'une croissance encore appréciable.

Une comparaison peut être effectuée entre ce système et l'économie de colonisation, où des activités et des emplois sont créés dans la colonie avec des capitaux de métropole. Mais une différence est essentielle: les entreprises exploitent souvent les ressources locales au lieu de transférer leur production existante; il n'y a donc pas de perte de production comme dans le présent système de mondialisation des capitaux.
La colonisation exploite, mais la mondialisation ne fait que transférer dans un jeu à somme à peu près nulle à court terme.

La situation est donc celle d'un facteur capital qui se déplace sans aucune contrainte pour maximiser le profit de l'investisseur, et d'un facteur travail qui à la fois est devenu moins indispensable face aux activités purement financières et est limité dans ses possibilités d'adaptation. Le résultat en est un chômage croissant à peu près partout dans les pays les plus prospères et une amélioration de l'emploi et du niveau de vie dans quelques-uns des pays les moins riches.
Dans les décennies et les siècles passés, ce mouvement de vases communicants prenait un certain laps de temps, plusieurs décennies au bas mot, pendant lequel la richesse apportée aux pays investisseurs alimentait l'économie par réinvestissement productif et permettait une croissance créatrice d'emplois.
La rapidité actuelle de ces déséquilibres, en quelques années seulement, ne peut à court et moyen terme que handicaper l'économie productive et l'emploi dans ces pays. S'y ajoute de manière cruciale la propension croissante des entreprises des pays riches à consacrer leurs capacités de financement à des activités financières non productives ou à la rémunération d'actionnaires financiers exigeants. De plus, la survenue inévitable de crises périodiques liées à l'aspect nécessairement cyclique des activités financières non régulées ne fait que perturber encore des ajustements mécaniques déjà dépassés. Ainsi cette situation se perpétue-t-elle de la manière actuelle sans que des mécanismes naturels ou des politiques adéquates puissent jouer de façon satisfaisante.

Délocalisations rapides vers l'étranger, concurrence des opérations financières contre les activités productives, l'époque actuelle dans les pays riches ne peut que voir, jusqu'à un terme indéterminé, un manque d'économie « physique » et donc une croissance réduite et un chômage en conséquence.



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