mercredi 11 janvier 2012

Economie et politique: les déficits délibérés justifient l'austérité pour les moins aisés


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Un article paru en 2003 dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales, sous le titre La politique des caisses vides, État, finances publiques et mondialisation résume remarquablement la mainmise des grandes entreprises industrielles et financières sur la politique budgétaire et sociale des Etats. 

En voici des extraits qui décrivent très bien les évolutions intervenues depuis la deuxième Guerre Mondiale. Le texte comprend des notes indiquant notamment les sources, que nous avons supprimées pour faciliter la lecture.

« Depuis le début des années 1970, les milieux industriels et bancaires des pays économiquement développés se trouvent confrontés à une exacerbation de la concurrence qui les jette les uns contre les autres, phénomène dû principalement à l’internationalisation croissante des échanges et des flux de capitaux, au déclin de la profitabilité ainsi qu’à une conjoncture économique morose et instable. Pour ces milieux, la capacité à s’imposer dans cette lutte plus féroce passe par l’amélioration de leur compétitivité respective. D’où leur tournant vers le néolibéralisme, c’est-à-dire vers une politique musclée de contre-réforme, axée sur le patient démantèlement des conquêtes sociales, économiques et fiscales accumulées depuis le début du XXe siècle par les salariés. 

Dans le domaine des finances publiques, ce tournant s’est concrétisé par l’adoption et l’application progressives de ce que plusieurs auteurs anglo-saxons appellent la « politique des déficits » (..)  Il s’agit de favoriser ou même de provoquer une crise des finances publiques. Ruth Richardson, l’une des pionnières de la politique d’assèchement des recettes de l’État et ministre des Finances de la Nouvelle-Zélande de 1990 à 1993, l’admet sans fard : « Si vous ne connaissez pas une véritable crise, inventez-la !» déclare-telle, en novembre 1997, lors d’une conférence devant l’establishment helvétique. L’objectif de cette stratégie consiste à créer ce qu’un chercheur américain nomme « un climat d’austérité » et un autre « un levier permanent pour couper dans les budgets sociaux », bref à établir des conditions idéologiques et politiques favorables à la contre-réforme sociale et financière. Guy Sorman, un promoteur de cette ligne de conduite, le résume sobrement : « le déficit engendré par la baisse des impôts apparaît […] comme un formidable moyen de pression pour contraindre l’État à rétrécir. Il n’y a en vérité aucun autre moyen que cette pression », écrit-il en 1984.
Il vaut la peine de signaler qu’une telle orientation ne relève pas d’un choix imprévoyant ou inconsidéré, mais, comme le relève une étude canadienne, d’« une stratégie mûrement réfléchie.» »

Ainsi,
« les dépenses en matière de sécurité sociale des pays membres de l’OCDE (...)  de 1960 à 1980 effectuent une marche rapide vers le haut, au rythme de 2,94 % par an, en moyenne. À partir de 1980, la marche ascendante se poursuit, certes, mais au ralenti, puisqu’elle n’est plus que de 1,37 % par année, cela en dépit du fait que la phase 1980-1998 se caractérise par l’aggravation considérable des problèmes sociaux (chômage de masse, précarisation croissante, etc.) par rapport à la période précédente. »

Sur l'imposition des entreprises, 
« Entre le début des années 1980 et la fin de 2001, le taux marginal d’imposition maximale sur les entreprises a été baissé d’environ 13 % aux États-Unis, 24 % en Australie, 42 % au Royaume-Uni et 50 % en Suède. De 1992 à fin 2001, ce taux a été diminué d’environ 16 % au Canada, 19 % au Japon, 21 % au Danemark, 23 % en Italie et au Luxembourg, 30 % en Suisse et 36 % en Allemagne. »  Et en France de 16%, de 50 à 34%.

Sur l'imposition des personnes,
« Le taux marginal d’imposition maximale des revenus des personnes physiques a lui aussi été considérablement amenuisé du début des années 1980 à 1996, dans des proportions variant entre 10 % environ en France et 60 % au Royaume-Uni. Quant au taux effectif d’imposition des revenus de la fortune, il a diminué de 10 %, en moyenne, entre 1981 et 1995, au sein de l’Union européenne, alors que la taxation des revenus du travail augmentait de 7 %. »

Il est facile de voir que cette évolution s'inscrit admirablement pour la France dans les principes que M. Kessler, PDG de la SCOR (5e réassureur mondial) et ex-vice-président du Medef énonçait en octobre 2007 quand il s'écriait « Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » Nous sommes tout près de l'accomplissement de ce dessein.

─── oOo ───

Remerciements à Emile Red pour avoir signalé ce texte au salon.

16 commentaires:

Philippe Renève a dit…

Il faut remarquer aussi que les déficits des finances publiques sont un énorme et savoureux fromage pour les banques qui sont les prêteuses obligées dans bien des pays. En France,cette obligation a été instaurée en 1973 sous Pompidou, ancien directeur général de la Banque Rothschild ! Les banques prêtent ainsi aux Etats sans risque en général, et quand des Etats sont au bord de la faillite, tout est fait pour que ce soit les citoyens qui paient la facture et non les banques, pour qui des prêts de centaines de milliards d'euros sont débloqués en quelques jours alors qu'elles-mêmes refusent de prêter aux PME.

De plus, l'interdiction de faire tourner la planche à billets limite l'inflation, qui est la bête noire des banques.

Tout cela est d'une parfaite cohérence.

Philippe Renève a dit…

Notons encore que ce recours obligé aux banques fait que celles-ci tiennent un Etat comme la France dans le creux de leur main: si le gouvernement fait mine de prendre des mesures à l'encontre de leurs intérêts, leur manque d'empressement à acheter la dette lui fera vite reprendre le bon chemin.

En d'autres termes, il suffit à une demi-douzaine des plus grandes banques de s'entendre, ce qui ne leur est pas inhabituel, pour mettre un Etat dans une situation de faillite par l'effondrement des cours de sa dette dissuadant tout prêteur de le financer.

Ainsi, comme autrefois les banquiers lombards, les banques modernes ont-elles un droit de vie et de mort sur les nations.

Rocla a dit…

Un peu compliqué tout ça , ce dont je peux parler un peu c' est l' attitude des banques . Je connais plusieurs cas de personnes ayant souscrit une assurance-vie au bénéfice d' un tiers . Au décès du souscripteur la banque se débrouille de garder le capital à verser le plus longtemps possible , frisant l' escroquerie pure et simple . Il fallut les menacer du tribunal pour voir venir les sous . Leurs pubs sont mensongères et leurs manières celles de bandits de grand chemin .

emile red a dit…

Le plus lamentable dans ce système pourri provient des traités de Maastrich et de Lisbonne qui interdisent à la BCE de prêter directement aux états quand elle prête aux banques à un taux quasi nul pour que celles-ci rétrocèdent selon leur propre volonté à ces mêmes états avec un taux d'autant plus élevé que les finances publiques sont aux abois et ainsi d'imposer leur modèle économique puis en suivant leur idéologie politique.

Le néo-libéralisme est ni plus ni moins un système mafieux appuyé sur le racket et l'asservissement économique.

Philippe Renève a dit…

C'est en effet un enrichissement complètement injustifié, un pur cadeau fait par l'Europe à travers la BCE, au détriment des Etats.

Le système de datation des commentaires déraille ce matin; espérons qu'il va revenir à de meilleures intentions...

emile red a dit…

Les dates ce n'est pas grave mais on ne peut plus lire les pages suivantes ou précédentes sans devoir se taper toutes les pages... Grrrr !!!

Philippe Renève a dit…

J'ai arrangé les choses au salon en indiquant des liens directs pour les pages par date.

Anonyme a dit…

Si ces braves crânes d'œuf qui condamnent des millions de gens à la misère réussissent aussi bien, c'est qu'une pensée anglo-saxonne calcule depuis trois siècles avec un tour d'avance. La domination militaire et la conquête géographique (un temps contrée par les espagnols), puis la domination industrielle, puis plus récemment quand l'industrie est partie dans d'autres contrées, la domination financière. Il est marrant de voir que ceux qui crient le plus au loup sur l'endettement des états sont ceux qui l'ont provoqué, et que quelques gros pays hurleurs (Royaume Uni, Etats Unis, Canada, Japon) sont ceux dont le fonctionnement financier est le plus malsain.
Prenez les tableaux 25 à 33 de l’OCDE « Perspectives économiques de l'OCDE No. 90 - Annexe statistique » et passez un peu de temps dessus !
http://www.oecd.org/document/3/0,3746,fr_2649_34573_2483907_1_1_1_1,00.html
Et vous verrez que pour leurs dépenses, certains états ont des excédents (Grèce 10% de son PIB, Italie, Portugal, Espagne) et d’autres sont en déficit chronique (Royaume Uni, Etats Unis, Canada, Japon).
Il est bien commode pour ces derniers, d’étrangler les premiers par le biais d’intérêts exorbitants, pilotés par des institutions financières qui se comportent comme des armes de guerre financière.
La guerre est devant nos yeux depuis 40 ans, avec son cortège de malheurs, de désolation (là je parle écologie aussi), de désinformation et de coups tordus. La prochaine étape étant la famine. Je n’entends pas nos hommes politiques … Seraient-ils complices, ou crétins ?

Philippe Renève a dit…

Beaucoup sont complices et acteurs, tels que ceux au pouvoir en France; d'autres ne sont que complices, par faiblesse et manque de courage. Quant à ceux qui dénoncent, ils sont marginalisés.

J. Viens a dit…

Tout a été dit hier soir par Mélanchon, qui a mis au tapis les journaleux de service
Une grande leçon de courage et de vérité

Philippe Renève a dit…

Les médias, dans la ligne de la bien-pensance "libérale", font tout pour qu'il passe au mieux pour un rêveur énervé, au pire pour un dangereux gauchiste.

Mais il reste que pour le moment il est à peu près le seul à défendre un point de vue économiquement réaliste et socialement juste; ceci explique cela.

emile red a dit…

Il a été plus que réaliste, il semble être le seul en mesure de proposer du positif et à remettre la société dans le sens de la marche, le seul à redonner une signification au mot république éludé par l'ensemble de la classe politique au pouvoir ou aux portes de celui-ci.

Son analyse du danger Le Pen est aussi d'une lucidité accablante, loin des tergiversations malodorantes ou jemenfoutiste des bobos de la soit-disant gauche démago qui joue la comédie de la ciguë brune.

Anonyme a dit…

Vous avez vu, je pense, cette animation où on voit des liasses, palettes, des camions, des gratte ciel de dollars pour essayer de nous faire imaginer la dette des états.
Eh bien on pourrait faire la même chose avec la surenchère dans la grosseur, l'énormité, le vertigineux des arnaques que nos politiques et financiers planétaires nous font depuis quelques années.
Il suffit de surfer un peu pour attraper un vertige, quand l'indignation et le découragement sont dépassés depuis longtemps.
Voir l'affaire France Tresor, où les banquiers qui se gavent des intérêts des prêts à l'état, sont les mêmes qui disent à l'état comment gérer sa dette !
Juste un exemple : cherchez sur internet jacques de la rosiere , à la fois gestionnaire de la dette et conseiller du président de la BNP !
El hierro

Philippe Renève a dit…

Merci el hierro de venir porter le fer ici !

Une chose est bien claire maintenant. Les politiques et les financiers ne vont pas main dans la main, ce sont les seconds qui dirigent les premiers, et qui ont la totalité du pouvoir politique à leur service.

Il faut bien voir que si un gouvernement faisait mine de rêver d'une politique sociale, plus égalitaire, plus juste, qui irait forcément à l'encontre des intérêts des financiers, il suffirait à ceux-ci de menacer de ne plus financer la dette du pays pour être obéis au doigt et à l'œil. A l'œil est une façon de parler car les fabuleux profits du secteur financier coûtent cher à la nation tout entière. Un pouvoir politique libre ne peut passer que par une refonte complète du financement des Etats (par la BCE par exemple) et une gestion autonome de la dette.

Philippe Renève a dit…

Un mot rapide sur la perte du AAA par la France.

Cette dégradation, qui n'est qu'une conséquence de l'affaiblissement de l'économie, avait été, comme toujours dans ce domaine, largement anticipée par les marchés financiers et l'annonce n'a à peu près rien changé.

Le reste est affaire de journaliste en mal de copie.

Philippe Renève a dit…

Je m'aperçois que j'avais formulé une hypothèse très voisine de celle de l'article cité dans le texte dans un commentaire le 16 novembre 2011 (17h34) au salon sur cette page.