lundi 10 mars 2008

Le principe de non-rétroactivité de la loi


A l’heure où certains voudraient remettre en cause ce point fondamental, il me paraît utile de lire ou de relire ce qu’en disait un des créateurs de notre Code civil : il serait vain de tenter d’innover quand les Anciens ont écrit de si belle façon.

Discours préliminaire
du premier projet
de Code civil
Extrait du discours prononcé le 21 janvier 1801
par Jean-Étienne-Marie PORTALIS.

C’est un principe général que les lois n’ont point d’effet rétroactif.
À l’exemple de toutes nos assemblées nationales, nous avons proclamé ce principe.
Il est des vérités utiles qu’il ne suffit pas de publier une fois, mais qu’il faut publier toujours, et qui doivent sans cesse frapper l’oreille du magistrat, du juge, du législateur, parce qu’elles doivent constamment être présentes à leur esprit.
L’office des lois est de régler l’avenir. Le passé n’est plus en leur pouvoir.
Partout où la rétroactivité des lois serait admise, non seulement la sûreté n’existerait plus, mais son ombre même.
La loi naturelle n’est limitée ni par le temps, ni par les lieux, parce qu’elle est de tous les pays et de tous les siècles.
Mais les lois positives, qui sont l’ouvrage des hommes, n’existent pour nous que quand on les promulgue, et elles ne peuvent avoir d’effet que quand elles existent.
La liberté civile consiste dans le droit de faire ce que la loi ne prohibe pas. On regarde comme permis tout ce qui n’est pas défendu.
Que deviendrait donc la liberté civile, si le citoyen pouvait craindre qu’après coup il serait exposé au danger d’être recherché dans ses actions, ou troublé dans ses droits acquis, par une loi postérieure.
Ne confondons pas les jugements avec les lois. Il est de la nature des jugements de régler le passé, parce qu’ils ne peuvent intervenir que sur des actions ouvertes, et sur des faits auxquels ils appliquent des lois existantes. Mais le passé ne saurait être du domaine des lois nouvelles, qui ne le régissaient pas.
Le pouvoir législatif est la toute-puissance humaine.
La loi établit, conserve, change, modifie, perfectionne. Elle détruit ce qui est ; elle crée ce qui n’est pas encore.
La tête d’un grand législateur est une espèce d’Olympe d’où partent ces idées vastes, ces conceptions heureuses, qui président au bonheur des hommes et à la destinée des empires. Mais le pouvoir de la loi ne peut s’étendre sur des choses qui ne sont plus, et qui, par là même, sont hors de tout pouvoir.
L’homme, qui n’occupe qu’un point dans le temps comme dans l’espace, serait un être bien malheureux, s’il ne pouvait pas se croire en sûreté, même pour sa vie passée : pour cette portion de son existence, n’a-t-il pas déjà porté tout le poids de sa destinée ? Le passé peut laisser des regrets ; mais il termine toutes les incertitudes. Dans l’ordre de la nature, il n’y a d’incertain que l’avenir, et encore l’incertitude est alors adoucie par l’espérance, cette compagne fidèle de notre faiblesse. Ce serait empirer la triste condition de l’humanité, que de vouloir changer, par le système de la législation, le système de la nature, et de chercher, pour un temps qui n’est plus, à faire revivre nos craintes, sans pouvoir nous rendre nos espérances.
Loin de nous l’idée de ces lois à deux faces, qui, ayant sans cesse un œil sur le passé, et l’autre sur l’avenir, dessécheraient la source de la confiance, et deviendraient un principe éternel d’injustice, de bouleversement et de désordre.
Pourquoi, dira-t-on, laisser impunis des abus qui existaient avant la loi que l’on promulgue pour les réprimer ? Parce qu’il ne faut pas que le remède soit pire que le mal. Toute loi naît d’un abus. Il n’y aurait donc point de loi qui dût être rétroactive. Il ne faut point exiger que les hommes soient avant la loi ce qu’ils ne doivent devenir que par elle.

Merci, monsieur Portalis.



1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour Philippe
Il y a peu l'idée m'est venue d'une singulière similarité de cette pulsion retroactive avec une autre bien connue de l'histoire ...Mais rien à faire la machine conservait ses fiches et rien ne venait. Une bonne nuit de sommeil est :"fiat lux"
C'est tellement simple que c'en est énorme . C'est très exactement un appareil juridique de la même nature que celui qui a été bâti au bas Moyen Âge contre les Juifs . Tout cet enchevêtrement de règles pratiques , coutumes et sermons qui ont fait des Juifs des coupables à la naissance , des criminels a priori , puisque leurs ancêtres avaient tué ou provoqué la mort d'un individu à l'historicité douteuse que d'aucuns qualifiaient de Dieu....Saint Louis le mal nommé s'est distingué dans cette poursuite . Les bûchers de la Renaissance se sont élevés en s'appuyant sur ce piédestal juridique...Il faut d'ailleurs inscrire dans ce même mouvement de culpabilité par essence, toutes les cruautés infligées aux femmes ontologiquement pécheresses dont les puritains de Salem ou les exciseurs ne sont que des petits nains perdus dans une longue lignée de bourreaux.
Comme les instigateurs actuels de la rétroactivité et les jocrisses qui n'y voient qu'un problème technique ne proposent aucune limite temporelle , jusqu'où iront-ils?

Didier