dimanche 1 juillet 2007

Nicolas Sarkozy et les missions MOAR

Charlemagne avait ses missi dominici ; Nicolas Sarkozy a ses missions MOAR : Mission Os A Ronger. Là où l’empereur envoyait des hommes de confiance représenter le pouvoir central naissant pour le plus grand bien du peuple, M. Sarkozy mobilise des hommes à des tâches d’études variées pour la plus grande satisfaction des intéressés – c’est le mot juste – et donc la sienne.

Ces délicats ossements sont assortis de jolis morceaux de viande qui complètent excellemment le plaisir  : viande savoureuse des honneurs, délicieuse de la célébrité, succulente du personnel à disposition, délectable des collaborateurs zélés et bûcheurs à votre place, exquise de la (petite) postérité ainsi acquise.

Les honneurs sont légion

En effet, quoi de plus plaisant qu’un statut et une position de « missionné », qui apportent l’aura d’une onction présidentielle, fût-elle extrême dans son parti s’il est d’opposition, et l’importance, morale et mondaine, que confère l’accomplissement d’une tâche noble puisque officielle ? Ainsi, dans les dîners en ville, avez-vous quelque chance d’être placé à table avec un rang équivalant à un ambassadeur, certes dans un petit pays, mais qui peut vous permettre de côtoyer à moins de trois people des êtres aussi exceptionnels que Philippe Sollers ou André Glücksmann, voire Frank Michael soi-même.

Dans ces mondanités, l’heureux homme – à l’heure où nous mettons sous presse, il n’y a pas d’heureuse femme – se verra également présenté à tout ce qui compte de gens importants dans notre monde moderne : capitaines d’industrie du luxe ou du bâtiment, écrivains journalistes (un cheval journaliste, une alouette écrivain), sportifs griffés Adidas® ou Nike®, académiciens biscornus, baronnes sachant vivre, comédiens refoulés des plateaux, chanteurs unplugged, présentateurs de 20h et de compliments, et autres personnes méritantes.

La tâche confiée, souvent à grand renfort astucieux de tambours médiatiques et de trompettes audiovisuelles, va en outre procurer à son titulaire un surcroît, ou un regain, de célébrité nationale, voire mondiale. Et les interviews de se succéder, les journalistes de se presser pour tendre un micro suppliant à notre chargé (de mission). L’intérêt ? Mais voyons, flatter. Satisfaire quelque ego flétrissant, des ambitions un peu en panne, ne manque pas d’attirer vers le commanditaire, sinon la reconnaissance, du moins la neutralité bienveillante : simple question de politesse, on ne mord pas (ou plus) la main qui vous a nourri.

La solitude, ça n’existe pas

L’ampleur du champ de certaines missions peut effrayer le citoyen ; pas le moariste, qui va disposer, comme il a été prévu dans la définition de la chose, d’un certain nombre de collaborateurs et de moyens d’investigation.

En premier lieu, un petit cabinet, formé d’un attaché de presse porte-parole et d’un secrétariat, donc des locaux pour les abriter, et une voiture avec chauffeur et cocarde. Ensuite, un certain nombre de collaborateurs spécialistes du domaine, par exemple policiers, travailleurs sociaux, magistrats, juristes, économistes, qui seront mis à disposition du moariste, à sa demande, pour le temps nécessaire à l’étude.

Il est de première importance de procéder avec le plus grand soin à la désignation de ces personnes, qui, bien choisies, peuvent abattre tout le boulot à votre place, des premiers pas à la rédaction du rapport. A contrario, un choix hâtif peut amener des traîneurs de pieds, poseurs de chausse-trapes et scieurs d’embûches qui risquent d’empoisonner une atmosphère qui devrait n’être que studieuse.

Avec un peu de détermination dans la demande, voire d’audace dans l’exigence, il est même possible de se faire affecter, eu égard à l’exposition publique, quelque officier de sécurité ou garde rapprochée, convenablement musclée et oreillettée, dont la seule présence confère au moariste cette importance physique qui impressionne favorablement le commun des mortels en lui rappelant que lui doit bien se débrouiller tout seul à minuit dans le RER B.

Tout cela donne inévitablement à notre homme une stature dont se repaissent les âmes attentives à la considération ; tel est bien le but du jeu.

Les risques du métier

Mais, me direz-vous, que de risques d’erreurs d’appréciation, de diagnostics hasardeux, de préconisations irréalistes le missionné va-t-il devoir prendre : qu’adviendra-t-il de la belle aventure si le rapport et ses conclusions apparaissent inutiles, ou à l’inverse, exagérément innovateurs, voire intégralement hors du sujet ? Ce sont là craintes injustifiées : à l’issue de son intéressant CDD, notre homme remettra solennellement son rapport à M. Sarkozy lors d’une jolie cérémonie à l’Elysée, où s’échangeront des paroles d’une exquise courtoisie et d’une élégante insignifiance.

La presse, dûment convoquée pour l’événement, en rendra compte avec le sérieux qui s’applique aux grandes réalisations de l’humanité, à la douillette satisfaction des participants, des journalistes et du public. Après quoi chacun s’en ira de son côté, qui présider, qui cultiver son jardin retrouvé, le mémoire étant par ailleurs jugé fort utile dans la tâche parfois ardue de stabiliser des meubles de bureau sur les sols classés mais inégaux d’un ministère parisien. Tant il est vrai que, comme en sport, l’essentiel est de participer à l’élaboration studieuse de l’étude, dont toute la valeur ne vient que du labeur supposé qu’il contient, et dont le nombre élevé d’appels de notes, d’annexes statistiques et de pages témoigne avec le plus grand réalisme.

Seuls, sans doute, quelques medias peu citoyens, paraissant sur papier le mercredi, railleront une prétendue légèreté de l’œuvre, qui croît souvent en raison inverse de la suffisance du signataire ; mais les honnêtes gens, craignant Dieu et croyant M. Sarkozy, se gardent de lectures aussi inciviques.

Plus d’appelés chez les élus

Le grand problème est que le nombre des missions possibles semble a priori très inférieur à celui des personnalités que Nicolas Sarkozy aimerait récompenser et (ou) neutraliser, lui-même très inférieur à celui des postulants.
Suggérons donc, très modestement, quelques pistes de réflexion pour en élargir la pratique. Ainsi pourraient être créées plusieurs missions d’évaluation des missions, une sur les résultats obtenus, une sur l’adéquation des résultats aux objectifs fixés (ce qui donnera à quelques folliculaires la benoîte satisfaction de reparler de « feuille de route »), une sur les dépenses des missionnés et leurs écarts par rapport aux budgets fixés, une autre synthétisant l’ensemble de celles-ci, etc.
Dans cette inventivité, faisons confiance, comme ailleurs, à notre Polyprésident : pour lui, pas de Mission Impossible.

1 commentaire:

Philippe Renève a dit…

Cet article est paru en juillet 2007 sur Agoravox, qui l'a retiré en avril 2010 pour cause d'incompatibilité d'humeur.

Il avait été également publié sur Cent Papiers, mais ce papier-là semble avoir été pas mal mâchouillé...